Une vannière (pas si) ordinaire
par Patricia Brangeon et Bernard Bertrand
Hier, comme aujourd’hui, le métier de vannier s’exerçait de bien des manières. Il y avait les professionnels, ceux référencés par les chambres consulaires et les autres, les vanniers ordinaires…Ces derniers travaillaient le bois par tradition familiale, parce qu’il fallait satisfaire les besoins du foyer en contenants ; mais aussi pour faire entrer un peu d’argent dans la maison. La lignée des Evano est une vieille famille de vanniers ordinaires, Julia en est l’héritière directe. Mais curieusement, rien dans son parcours n’est ordinaire
Gagne-misère
Un potager, une vache et un cochon ne suffisaient pas à nourrir la famille riche de 6 enfants. On avait alors recours aux petits métiers d’appoint, ceux que l’on appelait les « gagne-petit » ou « gagne-misère », de ces métiers qui rapportaient peu, mais permettaient de garder la tête haute, de conserver sa dignité et par la même occasion de nourrir les siens.
Ainsi dans les Pyrénées, on était étameur ou rémouleur de père en fils et on partait faire la saison. En Bretagne, on louait sa force comme journalier ou on allait courir les bois pour rapporter quelques richesses délaissées des forestiers patentés. Ainsi ont vécu les fabricants de balais de bouleau ou de bruyère, les vendeurs de fagots (pour les boulangers) et les vanniers qui exploitaient une ressource misérable, constituée principalement de rejets et de branchages dont les autres acteurs forestiers ne voulaient pas, car peu rentable à valoriser.
Ces gagne-misère avaient souvent un point commun : l’amour de la liberté et celui de leur indépendance… Des valeurs qui n’avaient et n’ ont toujours pas de prix ! Le père de Julia était de ceux-là. Trop tôt disparu, il laissa une veuve quinquagénaire qui avait encore des bouches à nourrir. Le travail de vannerie ordinaire étant par essence familial, Joséphine Evano reprit sans peine à son compte l’activité de son défunt mari. Les enfants ébranchaient les tiges quand elle façonnait l’ouvrage.
Le prix des corvées
Autrement dit, la vannerie on tombait dedans quand on était petit. C’est à peine sortie de l’école, son certificat d’études en poche, que Julia fit sa première corbeille, un sklissen en breton. Elle avait 14 ans. Cette vannerie à tout faire, principalement destinée aux récoltes (pommes et pommes de terre) se déclinait en quelques variantes seulement : poignées latérales, sur les côtés ou au-dessus de la bordure haute et deux à trois tailles pas plus. Parfois une anse transformait la vannerie en panier, mais c’était rare, il fallait que le client en fasse la demande. On vivait alors à l’époque du « c’est comme ça qu’on m’a montré » et on n’y dérogeait guère ! Depuis les choses ont changé, et si les plus authentiques des sklisseneu (pluriel breton de sklissen) étaient en bourdaine et rien qu’en bourdaine, aujourd’hui on récolte aussi le cornouiller, le châtaignier, le houx et bien sûr l’osier. L’introduction de ce dernier dans la vannerie bretonne ne fut que tardive, elle daterait du début du XXe siècle. La raison principale étant que ce matériau cultivé avait de la valeur et donc il fallait l’acheter.
Un fagot sur la tête
Les matériaux sauvages (les jeunes tiges de bouleau pouvaient parfois compléter celles de bourdaine) n’étaient pourtant pas totalement gratuits, mais leur coût était minime. Si la récolte se faisait dans les bois où les espaces municipaux, le vannier était redevable de corvées à la communauté ; mais si la ressource provenait de parcelles privées, on payait généralement le propriétaire en paniers. Julia se rappelle que sa mère et elle, pour avoir le droit de récolter dans les bois de Camors, devaient faire deux jours de corvées harassantes : curage des fossés et entretien des chemins communaux ! Le comte de Saint-Georges, propriétaire d’une forêt à Pluvigner où abondait la bourdaine, se contentait, lui, d’une rente annuelle de deux sklisseneu.
Le prix était bien raisonnable, car à cette époque, ces paniers se vendaient bien et il arrivait que ce soit le vannier lui-même qui fasse les prix ! Pour autant, hier comme aujourd’hui, on ne faisait pas fortune en tressant la bourdaine ou l’osier. Même si le temps de montage était relativement court, moins de deux heures, il fallait y ajouter celui de la récolte des matériaux. Il n’empêche, à raison d’un, deux ou trois paniers par jour, Claude, le gendre de Julia, estime que sa belle mère a réalisé durant toute sa carrière de 50 000 à 70 000 vanneries ! On n’imagine pas le tas de bois que cela pourrait représenter.
Autrefois, les bois étaient propres, entretenus ; on s’y déplaçait facilement, ce qui n’est plus le cas. Mais pour ramasser les matériaux, on allait à pied… et de plus en plus loin. Jeune femme, Julia faisait jusqu’à 10 km à pied les jours de récolte, dont la moitié avec le fagot sur la tête. Les hommes, physiquement plus costauds, portaient le fagot sur l’épaule.
Le regard des autres
Elle n’y allait pas seule, elle se souvient des expéditions menées avec ses cousines. Les jeunes femmes faisaient au moins deux récoltes par semaine, une quête de bois qui ne se faisait pas naturellement. De peur du « qu’en-dira-t-on », elle et ses cousines se cachaient pour ramener leurs fardeaux à la maison. C’est que ce métier, si ordinaire soit il, n’était socialement pas bien vu…
Un métier de romanichels disait-on encore il n’y a pas si longtemps ! Un sourire au coin des lèvres, Julia raconte la hantise d’une de ses cousines au moment de franchir les passages à la vue de tous. Elle refusait carrément de traverser la route avec son fagot sur la tête ou même dans les bras ; sans autre raison que la honte que cela lui inspirait. Julia devait alors poser sa charge, revenir sur ses pas, prendre celle de sa cousine et l’aider à franchir cette difficile épreuve du « regard des autres » ! Ces difficultés n’avaient pas que des inconvénients ! Elles renforçaient la complicité du petit groupe et, souvent, l’aventure était ponctuée de fous rires mémorables qui rendaient cocasses les situations les plus scabreuses.
Plus tard, notre sklisseuse aura un vélo et utilisera son porte-bagage pour soulager son dos. À 92 printemps, Julia ne court plus le bois, c’est à Claude que revient la charge de faire le plein de branchages ; lui, il y va avec voiture et remorque. La suite de l’article suite dans le LLC N°3